Le jésuite Ferdinand Verbiest
et l'Empereur Kangxi
Quand, en 1667, le jeune empereur Kangxi, âgé de treize ans, décida de se débarrasser du régent Oboi et d’assumer la conduite de l’empire, la situation des jésuites revint à la normale. À la différence de son père, le nouvel empereur, compétent et énergique, avait l’esprit ouvert, s’intéressait à la culture et était attiré par la science et les mathématiques. Ses rapports avec les jésuites allaient pendant longtemps être intenses et féconds. Une des premières décisions de Kangxi concerna le Bureau astronomique. Après l’éviction de Schall, la charge de directeur avait été confiée à son principal opposant,Yang Guangxian. A la fin de l’année 1688, le Chinois promulgua le nouveau calendrier, qui contenait des erreurs de calcul. Ferdinand Verbiest signala ces erreurs à l’empereur et lui offrit de les corriger. Ayant ainsi prouvé ses compétences, le missionnaire devint le second jésuite à diriger le Bureau astronomique. Le Belge obtint aussi la réhabilitation de son confrère allemand, dont la dépouille fut placée à la droite de celle de Ricci dans le cimetière jésuite de Zhala.
Bien vite, entre Verbiest et l’empereur, son cadet de trente et un ans, s’instaura un rapport d’estime et de considération réciproque. Kangxi, qui figure au nombre des grands empereurs chinois et régna soixante ans, fut un souverain autoritaire et éclairé. L’un des points communs entre le missionnaire et l’empereur fut leur goût pour la science. Soutenu et encouragé par l’empereur, Verbiest poursuivit l’œuvre de transmission de la culture européenne dans laquelle s’étaient illustrés les missionnaires qui l’avaient précédé. Il dessina des mappemondes, continuant la tradition inaugurée par Ricci, traduisit en mandchou des œuvres occidentales et en écrivit lui-même une quarantaine sur des sujets scientifiques, moraux et religieux
C’est dans l’étude du ciel que le jésuite laissa son empreinte la plus significative. Dans ses fonctions de directeur du Bureau astronomique, il prépara un calendrier qui donnait des prévisions sur vingt ans, publia les Lois astronomiques du règne de Kangxi, et construisit, à la demande de ce dernier, six impressionnants instruments astronomiques en bronze, que l’on peut encore admirer aujourd’hui sur la terrasse du vieil observatoire de Pékin. Verbiest employait le système de coordonnées célestes basées sur l’écliptique, tandis que les Chinois utilisaient les coordonnées équatoriales qui allait bientôt être adopté aussi en Occident. Leur conception mêlait les théories astronomiques occidentales avec l’esthétique des Chinois et leur art métallurgique raffiné. Verbiest les installa sur la terrasse de l’observatoire, à la place des vieux appareils fabriqués quatre siècles auparavant par Guo Shoujing pour le Grand Khan et très semblables à ceux que Ricci avait vus à l’observatoire de Nankin.
Kangxi, pour réprimer les révoltes qui étaient nées dans certaines régions de l’empire, demanda au missionnaire d’organiser une fonderie, comme Schall l’avait fait bien des années auparavant, pour produire quelques centaines de canons légers. Le Fils du Ciel fut si satisfait de l’aide reçue qu’il lui conféra la nomination honorifique de Vice-ministre des Travaux publics. Quand, en 1688, le missionnaire belge mourut à l’âge de soixante-cinq ans, il fut porté au tombeau lors de funérailles d’état solennelles auxquelles participèrent les plus importants fonctionnaires.
La collaboration entre Kangxi et les jésuites se poursuivit après la disparition de Verbiest. En 1680, le Belge avait envoyé en mission à Paris Philippe Couplet qui, avec le Chinois Shen Fuzong, avait présenté une requête au roi Louis XIV : envoyer en Chine des missionnaires experts en astronomie. Cette demande avait suscité l’intérêt du directeur de l’observatoire de Paris, l’astronome Jean-Dominique Cassini, et des membres de l’Académie Française, qui chargèrent cinq jésuites sélectionnés, Joachim Bouvet, Jean-François Gerbillon, Jean de Fontaney, Louis Le Comte et Claude de Visdelou, de faire des relevés géographiques et astronomiques et d’effectuer des études d’histoire naturelle. Arrivés à Pékin après la mort de Verbiest, ils enseignèrent à leur tour les mathématiques à Kangxi. À la demande du Fils du Ciel, les jésuites français organisèrent aussi une équipe de cartographes qui, voyageant sur tout le territoire chinois de l’empire dans la décennie qui va de 1708 à 1717, produisit « l’Atlas de Kangxi ».
Kangxi était si satisfait de sa collaboration avec les missionnaires qu’en 1692, il édicta ce qu’on a appelé l’« édit de tolérance » envers la religion chrétienne. Le document ne déclarait pas que le catholicisme était privilégié par rapport aux autres religions, mais il reconnaissait qu’il coexistait pacifiquement avec l’État, qu’il était totalement étranger aux sectes considérées comme dangereuses pour la vie civile, et il admettait que la doctrine professée par les missionnaires favorisait un climat d’harmonie sociale en cultivant les plus hautes vertus des citoyens. Le catholicisme était ainsi autorisé comme culte privé, subordonné à l’orthodoxie de l’État confucéen comme l’était le bouddhisme. Malgré ses limites, le document signait l’ère la plus détendue dans les rapports entre l’État chinois et les jésuites et sanctionnait le succès de la politique d’acculturation, quatre-vingts ans après la mort de Ricci.
Dans la seconde moitié du 17e siècle, la riche littérature sur la Chine produite par les missionnaires et la correspondance que nombre d’entre eux entretenait avec des hommes de culture stimulèrent en Europe un intérêt croissant pour cet empire lointain – totalement isolé un siècle seulement auparavant – gouverné par des lettrés. Des ouvrages basé sur les comptes rendus des missionnaires, firent connaître la Chine, à près de quatre siècles de distance de la diffusion du Livre des merveilles de Marco Polo. Presque un siècle après la première traduction de Confucius en latin réalisée par Ricci, le Confucius Sinarum Philosophus, fruit du travail d’une trentaine de missionnaires coordonnés par Philippe Couplet, imprimé en 1687 à Paris par la volonté de Louis XIV, présenta aux savants occidentaux la philosophie de l’état chinois. La Chine fascinait l’Europe. Parmi ses plus fervents admirateurs se trouvait Gottfried Wilhelm Leibniz, qui entretint une correspondance étroite avec les jésuites Joachim Bouvet et Filippo Grimaldi, successeur de Verbiest à la direction du Bureau astronomique.
Source : “Matteo Ricci” par Michela Fontana, édition Salvator – 2010.
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